Aveuglement du capitalisme

Il apparaît de plus en plus clairement que le pétrole non conventionnel aux Etats-Unis est un gouffre financier. Pourtant, personne ne semble prêt à en tirer les conclusions. C’est qu’il faudrait remettre en question le système capitaliste tout entier.

Les tenants de la révolution énergétique du pétrole non conventionnel jouent en effet sur tous les registres du capitalisme:

  • Bien sûr, la supériorité du marché. Comme d’autres, j’ai montré que non seulement le prix fixé par le marché n’est pas en ligne avec la théorie du producteur marginal, mais que la structure des prix à terme est incohérente, avec son contango qui rend le stockage rémunérateur sans risque, accentuant ainsi la dépression du spot.
  • Ensuite, la destruction créatrice schumpetérienne. Les révolutionnaires du pétrole non conventionnel ont joué ce registre, les petits rapides et innovateurs contre les gros enfermés dans leurs certitudes.
  • Également, toujours sur le marché, l’efficacité du marché financier pour comprendre les mécanismes de la génération de valeur (ou plutôt en l’occurrence, de la destruction de valeur). Cela fait longtemps que les apporteurs de liquidités auraient dû arrêter le financement des entreprises destructrices de valeur.
  • Chesapeake bonds 151115
    Encore, la supériorité de la concurrence sur les cartels, ici l’OPEP. L’analyse de son fonctionnement par les experts insiste sur l’approche géopolitique (ou la théorie des jeux) et néglige la prise en compte toute simple de la rentabilité des investissements.
  • Enfin, sur ce dernier point, la supériorité de l’entreprise privée sur l’entreprise publique, en l’occurrence les compagnies pétrolières nationales des pays producteurs. La recherche du profit pour leurs actionnaires n’est pas le moteur principal de l’activité des compagnies pétrolières étatsuniennes. Le maintien de leurs salaires, avantages et autres jetons de présence explique beaucoup mieux les décisions des entrepreneurs du pétrole non conventionnel.

La remise en question se fera comme pour le changement climatique[1]: un petit nombre est déjà conscient du problème, puis une majorité se réveillera d’un coup. Une minorité continuera, contre l’évidence, à défendre ce beau discours de l’indépendance énergétique des Etats-Unis.

Il n’est pourtant pas prudent de jouer dès maintenant la remontée des prix du brut, comme dans le Big Short. Si la taille de la dette, les faillites de plus en plus nombreuses et la baisse de la production n’ont pas encore suffi, on voit mal d’où viendra la lumière.

[1] Voire même la théorie de l’évolution

3 commentaires sur “Aveuglement du capitalisme

  1. « Il n’est pourtant pas prudent de jouer dès maintenant la remontée des prix du brut, comme dans le Big Short. »

    Si on voulait vraiment se la jouer The Big Short, il faudrait parier, non sur le prix du pétrole (ni même sur sa volatilité), mais sur les défauts de crédit du secteur énergétique. Exactement comme les cassandres visionnaires de The Big Short ont massivement acheté des Credit-Default Swaps sur des Collateralized debt obligations dont les sous-jacents des collatéraux étaient des crédits immobiliers (autrement dit, pour les lecteurs néophytes et pour simplifier : des produits d’assurance pour se protéger contre le risque que les gens qui ont contracté ces crédits immobiliers ne puissent plus rembourser), il faudrait acheter des Credit-Default Swaps sur des Collateralized debt obligations dont les sous-jacents des collatéraux sont les dettes des sociétés d’extraction de pétrole non conventionnel aux États-Unis. Et là, exactement, comme dans The Big Short, on commencerait par être perdant (potentiellement pendant quelques années), jusqu’au moment critique où suffisamment d’acteurs à travers le monde, devenant conscients du problème, commenceraient à paniquer, faisant exploser la valeur de ces titres d’assurance.

    Mais les banques prêteuses ont-elles seulement créé ces CDO pour se couvrir contre le risque de défaut des sociétés d’extraction de pétrole non conventionnel aux États-Unis ?

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    1. «Mais les banques prêteuses ont-elles seulement créé ces CDO pour se couvrir contre le risque de défaut […] »

      Désolé, j’ai tapé trop vite. Je voulais dire : « pour se défaire et mutualiser le risque de défaut ». Les CDO servent à refiler un risque à quelqu’un d’autre, les CDS à se protéger contre un risque de défaut de crédit d’un emprunteur (ou d’une catégorie d’emprunteurs).

      D’ailleurs, en l’espèce, il est possible qu’il n’y ait même pas besoin de passer par des CDO pour obtenir le résultat que je décris plus haut. Des CDS Corporate ciblés sur les entreprises du secteur pétrolier étasunien devraient suffire.

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  2. Aujourd’hui les US shale oils sont au breakeven pour Brent entre 45 et 60 $/bl selon les plays. C’est mieux que la plupart des champs deepwater dans le monde sauf Brésil et que les heavy oils canadiennes. Par ailleurs la capacite constatée depuis 10 ans à réaliser des gains de productivité considérables dans l’exploitation des shale oils ne va pas se tarir brutalement: les breakevens vont encore baisser un peu.
    S’il y a des acteurs surendettés il disparaîtront peut-être, mais leurs actifs, s’ils sont rentables, seront rachetés et exploités par d’autres opérateurs. Les shale oils rentables ont de beaux jours devant eux.
    De même que pour les shale oils autour des années 2 000, beaucoup de dirigeants de compagnies pétrolières ne croyaient pas à la rentabilité de l’offshore très profond au début des années ’90 et pour la même raison : ils ne prenaient pas en compte les gains de productivité à espèrer d’une technologie récente. Ceux qui ont y ont pensé ont acquis pour une bouchée de pain des permis qui se sont révélés très rentables quelques années plus tard.

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